[Chantier Vigne & Vin] ÉTUDE – Œnotourisme en Val de Loire : le vignoble à la conquête des icônes patrimoniales

 

Pendant cinq mois, le Chantier Vigne & Vin du programme Intelligence des Patrimoines a accueilli  une étudiante du Master 1 en Ethnologie de l’Université Paris 5 Descartes, Akila KARUNATHILAKE, pour dresser un état des lieux de l’œnotourisme en région Centre-Val de Loire et identifier de nouvelles pistes de recherche et de valorisation scientifique. Fondée sur un inventaire des produits œnotouristiques proposés dans la région, des entretiens semi-directifs avec des acteurs clefs de l’œnotourisme (interprofessions, CRT, syndicats, vignerons) et des visites de terrain, son étude décrit un processus de structuration de l’œnotourisme autour des principales icônes patrimoniales de la région – Loire et châteaux en tête.

 

Un vignoble vaste et complexe en mal de notoriété

Troisième production française en AOC, le vignoble du Val de Loire s’étend sur une surface de près de 70 000 hectares, divisée entre cinq sous-régions (Pays Nantais, Anjou, Touraine, Centre, Auvergne) et pas moins de 68 appellations de qualité très inégale. Au-delà des principaux pôles viticoles comme l’Anjou, Saumur, Vouvray, Bourgueil, Chinon ou encore Sancerre, le Val de Loire se caractérise par une multitude de « petits terroirs »[1], forts d’une longue histoire mais relativement peu connus à l’international.

A l’exception de quelques appellations prestigieuses comme Sancerre, Le Val de Loire n’est pas une destination œnotouristique “par excellence”, dans le sens où les vins ne bénéficient pas d’une notoriété suffisante pour constituer la première motivation de visite des touristes. Dès lors, les acteurs de l’œnotourisme en Val de Loire doivent composer avec l’offre touristique existante s’ils veulent attirer de nouveaux visiteurs. La Stratégie Régionale du Tourisme et des Loisirs – 2016-2021 du Centre-Val de Loire souligne bien les liens de synergie qui unissent le vignoble et le tourisme:  « la marque vins du Val de Loire (…) doit sa notoriété  tant à la qualité et la diversité de sa production qu’à la notoriété de la destination touristique qu’elle recouvre » (p. 64). En rapprochant le vignoble des grands sites touristiques régionaux (châteaux, jardins, Loire), l’œnotourisme peut ainsi accroître la notoriété internationale des vins de Loire.

L’enquête d’Akila Karunathilake révèle les initiatives mises en place pour relier le vignoble aux principaux circuits touristiques régionaux, mais aussi les difficultés et les limites de cette intégration.

 

Le Val de Loire, précurseur en matière d’œnotourisme

La région Centre et les Pays de la Loire ont été parmi les premières régions à intégrer le cluster œnotourisme à ATOUT France, au début des années 2000. La Mission Val de Loire (en charge de la valorisation du patrimoine UNESCO) et INTERLOIRE (l’interprofession des vins de Loire) ont été les initiateurs en 2003 de la Charte Internationale de Fontevraud (du nom de la commune des Pays de la Loire accueillant la conférence internationale), qui introduit le concept de « paysage viticole » à l’UNESCO et lance le projet européen VITOUR, en 2005, visant à améliorer la gestion et l’accueil dans les régions viticoles[2].

INTERLOIRE est particulièrement active en matière de promotion de l’œnotourisme. Le Réseau des Caves Touristiques, mis en place en 2007, regroupe plus de 350 domaines engagés dans un accueil de qualité, dont 20 « caves d’excellence » reconnues pour leur professionnalisme. INTERLOIRE est notamment la seule interprofession viticole en France à disposer de son propre « Observatoire de l’Œnotourisme », initié en 2014 pour mieux chiffrer la fréquentation et les dépenses des visiteurs des domaines inscrits dans le « Réseau des Caves Touristiques », également impulsé par INTERLOIRE. En 2016, l’Observatoire estimait à 1,7 millions le nombre de visiteurs dans les caves du Val de Loire, pour un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros et un panier moyen autour de 91 euros par acte d’achat, démontrant de façon statistique l’impact de l’œnotourisme sur l’économie du vignoble.

On comprend, au regard de ces soutiens institutionnels, que le Val de Loire ait été identifié par une étude[3] de 2013 come la première région œnotouristique française pour la qualité de l’accueil (ex aequo avec l’Alsace). Néanmoins, selon une autre étude (ATOUT France, 2016), le Val de Loire ne figure qu’en 5ème place des vignobles français en termes de fréquentation œnotouristique, avec 13% des visites, derrière Bordeaux, la Champagne, la Bourgogne et l’Alsace. L’enjeu œnotouristique pour les Vins du Val de Loire consiste dès lors à raccrocher le vignoble aux « locomotives » touristiques et patrimoniales de la région (châteaux, jardins, Loire) pour accroître la notoriété internationale des vins et augmenter la fréquentation.

 

Le vignoble à la conquête de la Loire et des châteaux 

Si le développement de l’œnotourisme passe par une plus forte intégration entre l’offre touristique existante (sites, itinéraires) et les domaines viticoles, encore faut-il considérer les conditions sociales, historiques et spatiales de tels rapprochements.

Vins & châteaux

Alors que le Val de Loire est mondialement connu pour ses châteaux de la Renaissance, les vins ligériens profitent encore relativement peu de la notoriété historique ni de l’afflux touristique des châteaux de la Loire. Certains châteaux commercialisent du vin (ex : Chenonceau) ou utilisent la vigne à des fins d’ornementation (ex : Saumur), mais ces usages semblent davantage relever du mythe commercial que de la reconstitution fidèle d’une réalité historique. Pour le géographe François Legouy[4], ces usages contemporains du vignoble par les propriétaires de châteaux vont « à contre-courant du sens de l’histoire ». Par opposition au modèle bordelais des châteaux viticoles, il parle même d’une « impossible équation » entre AOC viticoles et châteaux du Val de Loire. A la suite de Roger Dion[5], il fait remonter cette « dé-identification » entre vins et châteaux remonterait selon lui à la Renaissance, lorsque la Cour du Roi délaissa le Val de Loire pour s’installer à Versailles. Ces analyses laissent toutefois de nombreuses zones d’ombre historiques, notamment sur le rôle des châteaux dans la construction des vignobles ligériens, dans l’économie viticole régionale et dans la diffusion des vins du Val de Loire. Des recherches sur les modes de consommation du vin à la Renaissance et le rôle du vin dans la vie des châteaux offriraient d’excellents opportunités de valorisations patrimoniales et (œno-)touristiques.

 

Loire à vélo, Loire à Vignobles ?

Avec plus d’un millions de cyclotouristes par an, la Loire est un corridor touristique majeur. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000, le Val de Loire est un véritable monument de l’identité et du territoire français, apprécié pour ses paysages naturels aussi bien que pour son patrimoine historique et culturel. Mais bien que la vigne soit souvent présentée comme un attribut incontournable de la Loire, force est de constater que les opportunités sont plutôt rares pour les touristes de longer un champ de vignes ou traverser un domaine viticole. S’il semble avéré que la vigne était autrefois présente sur l’ensemble du territoire ligérien, des bords de Loire aux plateaux, le vignoble s’est peu à peu resserré sur les coteaux et les interfluves, sous l’effet concomitant de l’urbanisation, de la baisse tendancielle de la consommation du vin, et de la polarisation de la production autour des grandes appellations. Conséquence de cette géographie historique du vignoble du Val de Loire, il est souvent problématique pour les cyclotouristes des bords de Loire d’accéder au vignoble, hormis dans quelques appellations comme Chinon et Montlouis[6]. Des recherches scientifique et projets de médiation pourraient soutenir cette dynamique de rapprochement entre la Loire touristique et le vignoble en mettant davantage en valeur l’histoire fluviale du vignoble, l’histoire viticole du fleuve, et l’histoire des vignobles disparus des plaines alluviales de la Loire.

 

Recherche universitaire et utilisation des données patrimoniales de la vigne et du vin

L’état des lieux de l’œnotourisme en région Centre-Val de Loire du mémoire d’Akila Karunathilake révèle une offre de qualité, soutenue de longue date par les interprofessions et les pouvoirs publics, mais qui peine à attirer davantage de touristes du fait du manque de notoriété nationale et internationale des vins de Loire.

L’enjeu pour le développement de ce secteur d’activité réside dès lors dans la capacité des acteurs du vignoble à composer avec l’offre touristique et patrimoniale existante. Les associations stratégiques entre le vignoble et les circuits touristiques montrent à quel point les imaginaires du vin et du tourisme sont liés : le vin permet bien souvent d’ajouter de la valeur (culturelle et économique) aux sites touristiques, et réciproquement, l’évocation des grandes icônes patrimoniales permet aux vins de Loire de gagner en notoriété. Ce rapprochement entre tourisme et vignoble doit se faire par l’intégration de produits œnotouristiques, mais aussi par une recherche universitaire contribuant à mettre en lumière des éléments patrimoniaux communs (historiques, environnementaux, symboliques, culturels, etc.) entre patrimoine naturel, culturel et viticole. Nous avons souligné l’intérêt qu’il y aurait à développer des recherches historiques sur les liens entre vins et châteaux, pour comprendre plus en détail le rôle qu’ont joué, à différentes époques, les seigneuries et châtelains dans le développement du vignoble et dans la renommée des vins ; ou encore sur les intersections paysagères et les liens historiques entre le vignoble et la Loire.

Plus généralement, l’Université doit accompagner l’utilisation qui est faite des données portant sur le patrimoine viti-vinicole, garantir la qualité de l’information entourant les produits œnotouristiques, guider les acteurs économiques dans la complexité touffue de l’histoire, de la géographie, de la biologie du vignoble, et proposer de nouveaux protocoles d’information patrimoniale à destination des secteurs touristiques et viticoles. La qualité de l’offre œnotouristique dépend en bonne partie de la qualité de l’information proposée à des touristes certes friands de belles histoires, mais aussi friands de faits scientifiquement éclairés.

 

Version intégrale de ce mémoire (en anglais) disponible :

Akila Karunathilake, Reinventing the vineyard – Wine Tourism and Heritage in Centre-Val de Loire, (dir.) Saskia Cousin & Tristan Loloum, june 2018 (© tous droits réservés)

 

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[1] Samuel Leturcq, Adrien Lammoglia. Les “ petits terroirs ” viticoles de Touraine dans la longue durée (XIXe-XXIe siècles). Stéphane Le Bras. Les petits vignobles. Des territoires en question, Presses universitaires de Rennes ; Presses universitaires François-Rabelais, 2017, p.157-190.

[2] Prats, 2014 « Les Paysages Viticoles: Une Quête D’excellence », CULTUR, ano 08 – nº 03 – Outubro/2014, p. 128-143.

[3] Bebetter & co, 2013, Etude de notoriété et d’image des vins du Val de Loire.

[4] François Legouy and Christophe Vitré, « Les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) viticoles dans la région Centre-Val de Loire et les châteaux : une impossible équation ? », Norois, 226 | 2013, p. 63-77.

[5] Dion, R., Histoire de la vigne et du vin en France, Tours, 1959, 767 p.

[6] Yengué, J.-L. et Chaballier, C. (2015). Le Paysage, outil de résistance face à l’urbanisation Quelques enseignements dans les vignobles de Vouvray et de Montlouis sur Loire. Projet de Paysage, www.projetsdepaysage.fr.